Voici la fin
Merci beaucoup d'avoir suivi cette fic, et pour tout vos si gentil commentaires qui m'ont beaucoup touché et fait très plaisir. En espérant que cette fin vous plaira, bonne lecture.
Il y avait un peu plus de quatre heures de trajet jusqu'à Lyon. Samia ne perdit pas de temps.
S: Tu n'as pas aimé que je décides de reprendre mes études n'est-ce pas?
Elle aurait pu commencer par un sujet plus anodin, songea Boher, avant de se souvenir qu'il avait résolu d'affronter le passé.
Il tapota nerveusement le volant du bout des doigts.
B: Je n'ai jamais dit cela.
S: C'est en partie le problème. Tu n'as jamais rien dit. Tu as fait des allusions, des remarques sarcastiques, mais tu ne m'as jamais dit ce qui te préoccupait vraiment.
B: D'accord. Ça m'a déplu, en effet.
S: Pourquoi?
Il demeura silencieux un long moment.
B: Je voulais te suffire. Je voulais être tout ton univers, comme tu étais le mien.
S: Je n'étais pas tout ton univers! Le commissariat tiens une grande place dans ta vie.
B: Possible, mais je voulais quand même être tout pour toi.
S: Si je comprends bien, tu avais le droit d'avoir un travail où tu pouvais t'épanouir, mais pas moi!
B: Je pensais que ton rôle dans la vie était de m'aimer.
S: C'est incroyablement démodé. Et égoïste!
B: Je l'admets. Je suis démodé. Et complètement égoïste. Et puis, je pensais que tu t'épanouissais toi aussi dans la police.
S: C'est le cas. Mais ça ne l'a plus été pendant quelque temps, je n'étais plus vraiment certaine d'être faîtes pour ce métier. J'avais tort, je le sais aujourd'hui.
B: J'ai eu tort, moi aussi, mais...
Il prit une profonde inspiration.
B: J'avais peur, Mia. Peur de ne pas pouvoir te donner ce que tu désirais. Peur de te voir entrer dans un monde où je ne pourrais te rejoindre, où tu parlerais de livres que je n'avais pas lus et de musique que je ne pourrais comprendre.
S: Oh! Jp! Pourquoi ne me l'as-tu jamais dit? J'aurais pu t'expliquer en une seconde que ce n'était pas vrai?
B: Je ne sais pas pourquoi je ne t'en ai pas parlé. Peut-être parce que je ne comprenais pas moi-même. Il me semblait être indigne de toi. Samia, c'était si...génial, si beau, si fou...Nous vivions enfin ce contre quoi nous avions lutté pendant si longtemps, sans plus nous poser de questions. Et je suppose que c'est le fond du problème, nous n'avons jamais vraiment pris le temps de discuter. Nous pensions que l'amour suffirait.
S: Je me souviens d'avoir cru en cela, oui. D'avoir cru que l'amour effacerait toutes les différences entre nous, compenserait le fait que nous ne pouvions communiquer que physiquement.
B: Ce n'est pas vrai. ... N'est-ce pas, Mia?
S: Je crois que si.
B: Est-ce une mauvaise chose de communiquer de cette manière?
Elle rit.
S: Non. Mais, il nous fallait davantage.
B: Par exemple?
S: Il fallait que tu acceptes de partager ta vie avec moi, Jp. Et tu n'étais pas prêt à le faire. Tu m'as toujours tenu à distance. Et ça n'a fait qu'empirer après...
B: J'ai commis des erreurs, je le sais. Je t'ai fait des reproches. Je t'ai dit que si tu ne faisais pas deux choses à la fois, tes études et ton métier, tu aurais peut-être eu plus de réflexes, tu aurais été plus concentré, moins...
Il s'arrêta, voyant Samia qui était devenue pâle comme la mort.
B: Mia, t'ai-je jamais dit combien je regrettais d'avoir dit cela?
Elle secoua la tête en silence et se détourna pour faire face à la vitre. Il sut qu'elle pleurait.
Il se gara sur le bas-côté et la prit dans ses bras, caressant ses cheveux.
B: J'espère qu'il n'est pas trop tard pour te le dire, Samia. Je suis désolé. Je ne l'ai jamais pensé. Je voulais tellement revenir en arrière, pouvoir tout empêcher...Ces dernières années, Mia, j'ai cru que je serais toujours là, que je pourrais toujours te protéger, empêcher qu'on te fasse le moindre mal... Et soudain, j'ai découvert que ce n'était pas le cas. Je ne contrôlais rien du tout. J'avais été impuissant à vous protéger. Je n'avais pas été là. Je me suis senti tellement coupable. J'ai perdu ma foi en la vie...
Boher soupira en secouant la tête, puis il reprit d'une voix enrouée par l'émotion.
B: C'était mon rôle. Prendre soin des autres. Et de vous deux en particulier. Quand j'ai échoué à protéger ceux que j'aimais le plus au monde, cela m'a presque détruit. Au lieu d'avouer que j'avais désespérément peur de te perdre, je t'ai quittée. Mais je n'ai jamais cessé de t'aimer, Mia. Même si je savais que je ne te méritais pas, et que tu serais plus heureuse sans moi.
Samia caressa sa joue, avant de relever son visage et de plonger ses yeux dans les siens.
S: Ce n'était pas ta faute, Jean-Paul. Cet homme a braqué son arme sur moi, il était incontrôlable, personne n'aurait pu l'empêcher de tirer.
B: Mais si j'avais répondu à ton appel, si c'était moi qui t'avais accompagné, si j'avais été présent...
S: Tu n'aurais rien pu faire de plus que ce que les collègues ont fait. Tu étais sur une autre affaire, même si tu avais répondu tu n'aurais pu être là à temps tu le sais. Et tu sais que les collègues ont fait tout ce qu'il fallait, personne n'aurait pu empêcher ce qui s'est passé, personne n'aurait pu empêcher la perte de notre enfant, pas même toi.
Samia l'entoura de ses bras, et l'attira contre elle.
Au bout d'un long moment, tandis que les larmes de Boher ruisselaient sur son chemisier, elle murmura à son oreille:
S: Je t'aime.
Il dessera légèrement leur étreinte, la regardant avec tout l'amour qu'il ressentait pour elle, replaçant une mèche de ses cheveux qui était tombé sur son si beau visage
B: Mia, pourras-tu jamais me pardonner?
S: Jean-Paul, je savais que tu blâmais le monde entier pour ce qui était arrivé, toi encore davantage. Mais je savais également la vérité que tu n'as jamais vue.
B: Que veux-tu dire?
S: Que tu avais plus d'amour dans ton cœur que n'importe qui. Comment aurais-je pu te reprocher d'aimer avec tant de force?
Il posa la tête sur le volant et prit une profonde inspiration, séchant lentement ses larmes du revers de sa manche. Enfin, il redémarra et s'engagea de nouveau sur la route.
Silencieuse à présent, Samia se rapprocha de lui, de sorte que leurs épaules se touchent, et lui caressa tendrement les cheveux.
Quelques heures plus tard, ils atteignirent leur destination. Boher descendit de la voiture, inspira à fond, et tenta de se préparer à la confrontation qui les attendait.
Officiellement, il était en service: La femme qu'il allait voir avait abandonné son enfant.
Or, il ne pouvait s'empêcher de penser que tout était beaucoup plus compliqué que cela. Comment pouvait-on considérer que confier une petite fille à deux personnes qui avaient désespérément besoin d'elle, soit un abandon?
Il entendit soudain, Samia lui murmurer doucement:
S: Jp, n'essaie pas de comprendre maintenant. Allons la voir. Lui parler.
Il hocha la tête et laissa Samia lui prendre la main.
L'infirmière qui les accueillit leur expliqua la situation. La mère de Tessa s'appelait Émilie Leroy et souffrait d'un cancer incurable. Les médecins estimaient qu'il lui restait moins de deux semaines à vivre.
La jeune femme les conduisit à son chevet, puis leur lança un regard sévère.
I: Ne la fatiguez pas trop.
Samia sourit.
S: Ne vous inquiétez pas.
Ils entrèrent dans une chambre obscure, aux rideaux tirés. Aucun bouquet de fleurs n'égayait la pièce. Une frêle jeune femme était étendue sur le lit. Malgré son visage pâle et émacié, Boher remarqua immédiatement sa ressemblance avec Tessa.
A leur vue, une lueur de joie traversa le regard las de la malade. Boher ressentit un choc. Il s'attendait à de la crainte, ou peut-être de la méfiance de sa part.
Ce fut Samia qui s'approcha et tendit la main à la jeune femme.
S: Je suis Samia Nassri. Tessa est chez moi.
Les yeux bleus d'Émilie la fixèrent, puis elle parut se détendre.
E: C'est votre femme, Brigadier Boher?
Il répondit sans hésitation.
B: Oui.
E: Alors tout c'est bien passé. J'en étais sûre.
Samia tira une chaise et s'assit près du lit, gardant la main de la malade entre les siennes.
E: Comment va Tessa?
Samia la rassura et la jeune femme ferma les yeux, soulagée.
Boher s'assit à son tour, conscient qu'elle le regardait avec une attention particulière.
E: Vous ne me reconnaissez pas, n'est-ce pas?
B: Non. Je suis désolé.
Elle eut un faible sourire.
E: C'était il y a plusieurs mois Brigadier Boher.
B: Vous pouvez m'appeler Jean-Paul.
E: Jean-Paul. Vous m'avez dit cela aussi, ce soir-là...Nous nous sommes rencontrés, vous et moi, il y a presque un an, à Colmar.
Boher fouilla sa mémoire, en vain.
E: Vous ne vous en souviendriez pas. C'était un hasard. Une nuit froide et pluvieuse. Je m'étais disputé avec mon ami et je l'avais quitté. Je faisais du stop pour Lyon. Ma fille y étais, j'avais demandé à une amie de la garder quelques jours. J'avais gardé des contacts là-bas, j'espérais...
Sa voix s'éteignit, puis elle soupira.
E: Bref, on m'a déposé à Colmar. J'avais faim, j'avais peur que mon ami me retrouve, j'étais transie de froid et je ne savais pas où aller. Vous êtes arrivé dans une voiture de patrouille et j'ai cru que j'allais avoir des ennuis. J'étais sur le point de me cacher dans le fossé, mais vous m'aviez déjà vue et vous vous êtes arrêté.
Émilie marqua une pause avant de continuer.
E: Vous m'avez demandé où j'allais et vous m'avez emmenée à la gare. Vous m'avez acheté un billet pour Lyon. Je me souviens que vous avez tiré un portefeuille de votre poche et une photo en est tombée. Je l'ai ramassée. C'était une photo de vous et votre femme. Vous souvenez-vous, à présent?
B: Non, je regrette. Ce...ce n'était pas une très bonne période pour moi.
E: Parce que votre enfant venait de mourir.
Boher tressaillit et la regarda. Émilie hocha la tête.
E: Vous me l'avez raconté quand je vous ai demandé qui était la jeune femme enceinte sur la photo. Et j'ai compris alors pourquoi vos yeux étaient si tristes...Ensuite, j'ai pris le train pour Lyon, et, tout au long du trajet, j'ai pensé que la vie était injuste. J'avais une petite fille dont je ne savais pas m'occuper, que je n'avais pas désiré, tandis que vous...Et malgré votre chagrin, vous m'aviez témoigné gentillesse et respect. Je me suis juré d'être enfin une bonne mère pour ma fille. J'ai fait tout mon possible pour.
Des larmes brillèrent dans les yeux de la jeune femme.
E: Vous savez, même si je n'avais pas désiré Tessa avant sa naissance, je l'ai adorée tout de suite. Mais je ne sais pas... les choses n'ont jamais bien tourné. Elle aurait mérité d'avoir un bon père, mais je n'ai pas pu lui donner cela. Et quand le médecin m'a dit que j'étais condamnée, j'ai su qu'il y avait une chose que je voulais pour Tessa. Un père comme vous. Nous sommes seules au monde. Mes parents sont morts depuis longtemps. Personne, à part Tessa, ne m'a montré autant de gentillesse que vous l'avez fait ce soir-là. Je savais que si je vous envoyais ma fille, vous n'auriez pas le cœur de la rejeter, et que vous l'aimeriez. J'avais raison, n'est-ce pas?
Boher eut l'impression que son cœur éclatait en mille morceaux. Alors qu'il traversait la pire époque de sa vie, il avait témoigné à cette jeune femme une compassion dont il n'aurait jamais fait preuve avant. C'était elles. C'était Samia et leur petit ange, qui lui avaient fait ce cadeau. Qui l'avait fait changer, qui avait fait de lui un homme fort et bon, un homme digne de leur amour.
E: Acceptez-vous de garder ma fille, Jean-Paul Boher?
Dans le regard d'Émilie, il se vit tel qu'il était vraiment. Pas un homme parfait, non, loin de là, mais un homme sincère, honnête, un homme qui écoutait son cœur et faisait de son mieux.
Pourtant, comment pourrait-il prendre soin de la fillette? Il vivait seul...A moins que...Instinctivement, il se tourna vers Samia dont les yeux brillaient de larmes.
Il plongea son regard dans le sien, et quelque chose se produisit, quelque chose qui n'était pas arrivé depuis très longtemps. Il sut ce qu'elle pensait sans qu'elle ait besoin de parler.
Il prit sa main qu'il serra tendrement dans la sienne.
B: Nous prendrons soin de Tessa. Aussi longtemps qu'elle aura besoin de nous.
S: Nous l'aimerons de tout notre cœur.
E: Je sais.
La jeune femme leur sourit, avant de murmurer:
E: Pensez-vous que...je puisse revoir Tessa une dernière fois?
Boher rencontra de nouveau le regard de Samia.
B: Je crois que nous pouvons faire beaucoup mieux que cela.
Épilogue
Le cimetière de Colmar se trouvait sur une petite colline qui dominait la rivière. Une grille en fer forgé le séparait d'un parc tranquille où l'on avait aménagé des tables de pique-nique.
Boher se dirigea vers le coin du cimetière où reposaient les membres de sa famille. Là, il s'attarda un moment à lire les épitaphes sur les tombes de ses ancêtres, de son grand-père et de ses parents.
Enfin, il arriva à sa destination.
Deux tombes, l'une à côté de l'autre. L'une était celle d'un bébé. La seconde, celle d'une mère.
Son petit ange et Émilie Leroy n'étaient pas liées par le sang. Pourtant, il semblait à Boher que quelque chose de plus fort, de plus mystérieux les unissait...
Il entendit des rires et se retourna. De l'autre côté de la grille se trouvait toute sa petite famille. Sa grand-mère déballait le panier à pique-nique. Tessa gambadait, un cerf-volant à la main, suivie de près par sa petite sœur, Emma.
Tessa aurait bientôt huit ans et Emma deux.
Il regarda Samia qui bavardait avec sa grand-mère, le visage radieux. Son ventre commençait à s'arrondir, annonçant la venue d'un autre bébé pour l'été. Samia espérait un garçon, mais Boher n'avait pas de préférence.
Le miracle d'une autre vie lui suffisait.
Samia embellissait de jour en jour, resplendissant du bonheur profond d'une femme qui se sait aimée.
Il les rejoindrait bientôt, mais d'abord, il avait une tâche à accomplir. Il ouvrit le sac qu'il portait et en retira ses outils de jardinage. Puis il s'agenouilla et désherba avec soin autour des tombes, et, comme chaque année à la même époque, creusa un trou dans la terre, où il planta deux géraniums rouges.
Le rouge était la couleur préféré de Samia, et elle avait été celle d'Émilie également.
Après avoir soigneusement tassé le sol autour de ses plantations, il reposa son plantoir et demeura longuement immobile, l'esprit en paix.
Dans le lointain, la rivière murmurait. Boher songea à cette année d'affreuse solitude qu'il avait traversées. La tragédie lui avait finalement permis de devenir un autre homme; il savait maintenant reconnaître ses faiblesses et le pouvoir de l'amour.
T: Papa! Tu viens m'aider à faire voler mon cerf-volant? Emma n'arrête pas de baver dessus!
Il se leva, s'épousseta les genoux, puis rangea tranquillement ses outils dans le sac, avant de se tourner vers ses deux princesses.
B: J'arrive ma puce.
Il répondit au sourire de Tessa, puis croisa le regard de sa femme, qui semblait l'observait depuis un moment. Il y avait tellement d'amour dans ses yeux. Un amour qui n'avait jamais cessé malgré les épreuves, malgré ces mois de séparation et qui il en était certain à présent durerait toujours.
Se tournant une dernière fois, il contempla les tombes et les fleurs, avant de lever les yeux vers le ciel bleu:
B: Merci.
et de s'éloigner.